Passe D

Steven Gerrard : l’âme de Liverpool

Joueur majeur des années 2000, l’Anglais est irrémédiablement associé à son club de toujours, Liverpool, comme Paolo Maldini au Milan AC, Ryan Giggs à Manchester United, Francesco Totti à l’AS Rome ou Nicolas Seube au SM Caen. Retour sur l’histoire d’amour entre Stevie-G et les Reds, et sur ce que le premier incarne pour les seconds.



Focus sur le plus grand joueur de l’histoire des Reds


On l’oublie parfois, mais Steven Gerrard n’a pas terminé sa carrière à Liverpool. Symboliquement, si, il l’a fait, mais ses derniers matchs, il les a joués à Los Angeles, pour le Galaxy, au côté de l’Irlandais Robbie Keane. Avec lequel il a d’ailleurs brièvement évolué chez les Reds, lors de la saison 2008-2009. Comme plein d’autres grands joueurs avant lui – Andrea Pirlo, Thierry Henry, Kaka, Wayne Rooney, Zlatan Ibrahimovic, Romain Alessandrini… -, Steven Gerrard est allé en MLS pour taper le cuir contre Houston Dynamo, Colorado Rapids ou Philadelphie Union. Bref, pour lever le pied, et finir tranquillement une carrière longue et impressionnante, mais également harassante. Et surtout, pas toujours simple. Spécialement pour lui, qui est pourtant le plus grand joueur de l’histoire des Reds, selon les supporters du club. S’il a toujours eu Liverpool dans le cœur – et la réciproque est vraie -, Stevie-G n’a pas rendu que des services à son équipe de toujours ou presque. Il l’a même, et de manière terrible, parfois grandement desservie.

A chaque fois, et ce n’est peut-être pas un hasard, contre le Chelsea de José Mourinho. Avant d’évoquer la plus grande désillusion de sa carrière, celle que tout le monde a en tête, il faut se rappeler que le joueur, en 2005, avait déjà rendu un fier service au Portugais.

Finale de la League Cup : Liverpool, emmené par Fernando Morientes, Jamie Carragher, Harry Kewell et le délicieux Luis Garcia, mène 1-0 depuis la première minute de jeu grâce à une volée puissante du Norvégien John Arne Riise. Les Reds se procurent pas mal d’occasions, durant toute la partie, mais ne concrétisent pas et sont sous la menace de la bande à Didier Drogba. Et à la 79e, l’impensable se produit : après un chassé au centre du terrain du Reds Dietmar Hamann sur un Blues, pour annihiler un contre, le latéral droit portugais Paulo Ferreira botte le coup-franc vers la surface adverse, de manière relâchée, sans trop y croire. Steven Gerrard, lui, y croit à sa place : il devance ses coéquipiers John Arne Riise et Jamie Carragher pour catapulter le ballon vers ses propres cages, d’une tête vers l’arrière. Poteau rentrant, le gardien Jerzy Dudek ne peut rien faire. Le match se finit grâce à lui en prolongation, et les Reds, menés 1-3, s’inclinent finalement 2-3 face aux boys de José Mourinho. Ce n’est pas la première fois que Stevie-G précipite la défaite des siens : déjà, un an avant, à l’Euro 2004 avec l’Angleterre, c’est une passe ratée vers l’arrière du joueur de Liverpool qui permet à Thierry Henry de devancer la sortie de la calamité David James, qui provoque un peno, que Zinédine Zidane transforme. Victoire 1-2 de la France, merci Stevie, au revoir.

Bleus, Blues, même combat pour Steven. Pour un Red dans l’âme qui a pour ennemi intime Everton, dont la couleur dominante est le bleu, ça la fout mal de donner régulièrement la victoire à des clubs qui s’habillent de cette couleur. D’autant que, comme il l’a lui-même avoué, Steven Gerrard, déçu par Liverpool à l’été 2004, a sérieusement réfléchi, à ce moment-là, à la possibilité de rejoindre… Chelsea, qui le désirait ardemment. Mais l’amour de son club – et les menaces de mort qu’il a alors reçu ? – l’a convaincu de rester, tout en filant la coupe d’Angleterre aux Blues l’année d’après, pour se faire pardonner de son faux-transfert. Classe jusqu’au bout, le Gerrard…

Le 27 mai 2014, par contre, on soupçonne le milieu de terrain de ne pas avoir prémédité sa cruelle glissade, lors du match de la 36e journée entre les Reds et les Blues, qui sont encore dirigés par José Mourinho. Liverpool est alors leader de Premier League, et une victoire contre Chelsea permettrait à Anfield de célébrer le titre de champion d’Angleterre. Chose qui n’est alors plus arrivé au club depuis 1990. Sauf qu’en première période, après une passe anodine de Mamadou Sakho, l’Anglais contrôle mal la balle et glisse au moment de prendre son appui pour la récupérer. Demba Ba, opportuniste, profite de l’offrande, fait 40 mètres dans le camp des Reds et trompe le portier belge Simon Mignolet. Steven Gerrard fera tout pour rattraper son erreur, au point de tenter 9 tirs durant la partie. En vain. Il ne trompera jamais le gardien des Blues, Mark Schwarzer, et refera même une glissade sur le deuxième et dernier but de Chelsea, à la fin de la partie, alors qu’il est en position de dernier défenseur lors d’une perte de balle de Liverpool. Pour Steven Gerrard, c’est évidemment l’horreur, après la rencontre, et depuis : « Il n’y a pas un jour qui passe sans que je ne me demande ce qui serait arrivé s’il n’y avait pas eu cette glissade. Après le match, je me suis assis à l’arrière de ma voiture et j’ai senti les larmes couler sur mon visage. Je n’avais pas pleuré depuis des années, mais ce jour-là, je ne pouvais pas m’arrêter. Ça m’a tué. Je me suis senti engourdi, comme si j’avais perdu quelqu’un dans ma famille. » D’autant qu’une journée plus tard, Manchester City prend la tête du championnat, puis s’adjuge le titre de champion la journée d’après, la dernière, après une victoire contre QPR dans les arrêts de jeu. Cruel coup du sort pour la légende de Liverpool.

« Steven Gerrard is our captain / Steven Gerrard is a Red / Steven Gerrard plays for Liverpool / A Scouser born and bred / And then one night in Turkey / It was 21 years since Rome / With a Liver Bird upon his chest / He brought the cup back home ». Voilà pourtant ce que le numéro 8 inspirait à ses propres supporters, malgré ses glissades et autres têtes contre son camp en finale de la Cup. Car si Steven Gerrard est cruellement indissociable de cette tragédie face à Chelsea – franchement, ça en est une -, il est aussi, et probablement avant tout, le capitaine de l’équipe qui a effectué le plus grand come-back de l’histoire de la Ligue des Champions. Oui, devant la remontada du Barça contre le PSG.

Comme le chant des supporters le dit plus haut – si vous comprenez aussi mal l’anglais que Nabil « I récupe the ball » Fekir, sachez que ça parle de cette finale -, cela s’est passé en Turquie. Plus précisément à Istanbul, au Stade Olympique Atatürk, lors de la finale de la C1 de 2005. Opposé à une grande équipe du Milan AC, dont le onze de départ fait extrêmement peur – Maldini, Nesta, Cafu, Pirlo, Seedorf, Kaka, Shevchenko, entre autres -, Liverpool, dont le latéral gauche fait extrêmement peur – Djimi Traoré -, démarre très mal sa finale de la Ligue des Champions. Menés 3-0 à la mi-temps, les potes de Steven Gerrard rentre au vestiaire tête basse. Jamie Carragher a avoué, plus tard, qu’il avait alors « peur d’en prendre cinq ou six ». Pas son capitaine, qui bout intérieurement, notamment en voyant le « rictus narquois de Gattuso » au retour des vestiaires, avant le début de la deuxième mi-temps. Les Italiens se croient vainqueurs, mais ils vont vite déchanter, notamment grâce à… Steven Gerrard.
Evidemment. Ce dernier, à la 54e, inscrit le but du 3-1 d’une superbe tête décroisée, avant de provoquer, à la 60e, le penalty du 3-3, transformé en deux temps par Xabi Alonso. En six minutes, des Reds conquérants refont leur retard sur la formation coachée par Carlo Ancelotti, qui s’inclinera finalement lors de la séance de tirs au but, quand l’Ukrainien Andriy Shevchenko rate le sien.
Capitaine des Reds depuis 2003, Steven Gerrard soulève deux ans plus tard le plus grand trophée qu’un club peut remporter, le faisant immédiatement rentrer dans l’histoire des Reds. Mais son histoire personnel le prédestinait, avec ou sans Ligue des Champions, à le faire.

En 1989, le club de la Mersey vit un drame lors de la demi-finale de la Coupe d’Angleterre entre Liverpool et Nottingham Forest, jouée sur terrain neutre, celui de Sheffield Wednesday. Peu avant le début de la rencontre, un conséquent mouvement de foule dans la tribune réservée aux supporters des Reds provoque 96 décès, et 766 blessés. Futur joueur de Liverpool, Steven Gerrard, 8 ans, est en réalité lié à cet événement de manière bien plus intime : son cousin, Jon-Paul, 10 ans, est la plus jeune des 96 victimes du drame de Hillsborough. « Voir la réaction de ses proches m’a poussé à devenir le joueur que je suis aujourd’hui » dira Gerrard. Un après la tragédie, ce dernier, 9 ans, débute son histoire avec le club en rejoignant son centre de formation. Puis on connaît la suite : il devient pro à Liverpool en 1997, avant de jouer pour la première fois avec l’équipe une en 1998, sous les ordres du Français Gérard Houillier, qui le repère en réserve alors qu’il cherche un arrière-gauche pour les A.

Que Steven Gerrard soit lié à Liverpool de cette manière, si intime, est à la fois un hasard total, mais aussi un beau symbole. Il est le produit, ou plutôt l’enfant, de la catastrophe qui a marqué le club à jamais. Touché directement par le drame, l’Anglais en a fait sa force, comme il l’a dit, au point de porter haut les couleurs du club moins de 10 ans plus tard. Et d’amener Liverpool sur le toit de l’Europe 16 ans après le drame de Hillsborough, en 2005, en ayant au préalable fait un quintuplé historique quatre ans plus tôt, sous les ordres de Rafa Benitez – Coupe UEFA, Coupe d’Angleterre, Leage Cup, Supercoupe UEFA, Community Shield. Adoré des supporters des Reds, Steven Gerrard est un gars du cru qui n’a jamais trahi son club, malgré quelques avances d’autres clubs richissimes, comme Chelsea. Entre 2007 et 2011, la formation liverpuldienne ne gagne rien, mais le capitaine reste. Il l’avait d’ailleurs annoncé après la finale face au Milan AC : « Comment pourrais-je quitter le club après une soirée comme celle-ci ? » Et il a tenu parole, en devenant, progressivement mais certainement, l’âme du Liverpool FC : l’un des joueurs les plus talentueux passé par le club, son capitaine emblématique et le protagoniste de ses plus belles victoires. Et, pourquoi pas, son entraîneur, lui qui est a attaqué sa carrière au Glasgow Rangers ?

Passe D conclura cet article de la même manière que Steven Gerrard a conclu, de manière émouvante, son autobiographie : « Je joue pour Jon-Paul ». Gageons qu’il entraîne également pour lui.

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