Passe D

Pourquoi l’Ajax doit gagner la Ligue des Champions ?

Après le Real Madrid lors des huitièmes de finale, la Juventus Turin de Cristiano Ronaldo est tombée en quart de la Ligue des Champions face à la fougue, au talent et à l’enthousiasme d’une équipe hollandaise qui ravit l’Europe. Et que tout le monde espère secrètement voir gagner le trophée, le 1er juin 2019.



PasseD répond à la question de la semaine


L’Ajax était en ballotage défavorable après le match aller où, chez elle, elle n’avait pu faire mieux que match nul 1-1 face à la bande de Cristiano Ronaldo, impitoyable buteur ce soir-là. On pressentait, déjà, que les Blancs et Rouges pouvaient faire tomber le leader de la Serie A. Mais après une pause d’une semaine entre les deux rencontres, la formation de Massimiliano Allegri, plus forte sur le papier malgré des absences préjudiciables – Mario Mandzukic, Giorgio Chiellini –, paraissait capable faire la loi dans son antre, et de dominer cette jeune génération de joueurs exceptionnels, mais peut-être trop tendres, et trop beaux, et trop naïfs, pour continuer sa course dans la compétition reine.

La Juventus l’a d’ailleurs fait lors de l’entame de la partie, où les jeunes Ajacides, bousculés, sont apparus submergés par l’enjeu – Frenkie De Jong a notamment perdu tous ses premiers ballons. Puis la machine s’est progressivement mise en route, et la formation hollandaise, coachée par Erik ten Hag, a dominé la Vieille Dame de la tête et des épaules, notamment en deuxième période. Comme elle avait su le faire au match aller. Et lors des deux rencontres face au tenant du titre, le Real.

Si c’est Cristiano Ronaldo, encore et toujours lui, qui a ouvert la marque à la 28e, sur corner, en plaçant une tête imparable pour le portier André Onana, l’Ajax a su réagir rapidement. Il n’a fallu que six minutes pour que le milieu néerlandais de 21 ans, Donny van de Beek, absolument partout sur la pelouse du Juventus Stadium, mardi soir, réduise l’écart d’une frappe bien placée du pied droit. En seconde mi-temps, alors que la formation italienne était dominée de toute part par le collectif impressionnant de l’Ajax, le capitaine Matthijs De Ligt, 19 ans mais la carrure et l’expérience d’un mec qui en a 30, donnait l’avantage aux siens à la 69e minute de jeu, d’une tête puissante sur corner.

Sauvée à plusieurs reprises en seconde période par son portier polonais, Wojciech Szczesny, la Juventus pouvait même s’estimer heureuse de ne pas en avoir pris 3 ou 4. Franchement, qui l’eut crû lors du tirage au sort, qui mettait sur la route du petit poucet le monstre de la Ligue des Champions, Cristiano Ronaldo ?

Mais impossible n’est pas ajacide. Surtout quand on a de tels jeunes joueurs dans ses rangs : Frenkie De Jong, 21 ans, Matthijs De Ligt, 19 ans, Donny van de Beek, 21 ans, David Neres, 22 ans… Ils ont dû couter une fortune au club, ces espoirs qui confirment déjà, non ? En réalité, non. Le joueur le plus cher du onze de départ, David Neres, a été payé 12 millions d’euros, en 2017. Soit le prix qu’a déboursé l’OM pour recruter Nemanja Radonjic, l’été dernier.

Dusan Tadic, le numéro 10 de l’Ajax, qui joue buteur et place une roulette ou une talonnade à chaque rencontre, a été vendu par Southampton au club hollandais pour 11 millions d’euros, en 2017. Après son match stratosphérique à Madrid (1-4), il avait été noté 10 par L’Equipe, chose qui n’est arrivée que neuf fois dans l’histoire du quotidien sportif. Le reste de l’équipe est en grande partie composée de joueurs du cru, que l’Ajax a formé dans son centre de formation, l’un des meilleurs du monde. Logique, au fond : près du tiers du budget du club y passe.

Mais ne croyez pas que ce budget soit énorme : il n’est que de 85 millions d’euros. Soit presque moitié moins que l’Olympique de Marseille, 150 millions. L’OL, 280 millions, en a plus du triple. Et on ne va même pas évoquer le PSG. En L1, Bordeaux et Saint-Etienne ont, à peu de choses près, le même budget. Vous imaginez les Girondins et les Verts en demi-finale d’une coupe d’Europe, ne serait-ce que la Ligue Europa ? Et vous vous rendez compte que l’Ajax est allé plus loin en Ligue des Champions que le PSG depuis le début de l’ère qatarie, en 2011, avec 1,5 milliard dépensés depuis ? Le savoir-faire de l’Ajax, hérité de Johan Cruyff il y a près de 50 ans, fait des merveilles avec peu. Le club néerlandais, mythique, renoue avec sa glorieuse histoire en atteignant à nouveau les demi-finales d’une coupe européenne, tout en proposant le football le plus abouti de cette édition de la Ligue des Champions. Pas avec un jeu défensif, en contre, à six derrière.

Le sort – donc la VAR – a voulu que ce soit Tottenham qui tombe contre la jeunesse ajacide en demi-finale, au lieu du City de Pep Guardiola. Passe D, spectateur neutre, aimerait quand même, désolé amis supporters des Spurs, que les coéquipiers de Matthijs De Ligt et Frenkie De Jong aille le plus loin possible, donc en finale, et remporte même le trophée. Pour démontrer à tous les PSG et Manchester City réunis, ainsi qu’aux autres mastodontes du football business, que ce sport peut être beau, bien pratiqué et passionnant même avec peu d’argent. Mais avec le principal : du talent, des idées, un esprit collectif, du cran et de la technique.

L’Ajax incarne absolument tout ça. La Ligue 1, mais pas qu’elle, devrait s’en inspirer et en faire son modèle, pour que la parenthèse marseillaise de la saison dernière ne soit pas qu’une éclaircie dans la grisaille.

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