Il y a des jeux vidéo qui s’inscrivent dans une dimension à part. Des licences iconiques, inimitables et inégalables, à mi-chemin entre la réalité et la prophétie. Des sagas de passionnés, capables de fédérer à elles seules des communautés actives et dynamiques. « Football Manager » fait partie de ce gratin-là. Hasard du calendrier, FM vient de lancer une appli qui rend accessible sa base de données sur mobile. Parfait pour cette fin de Coupe du monde et la saison qui va recommencer. Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, c’est aussi la période des soldes, avec des réductions monstres sur toutes ses versions 2018.
En exclusivité, les boss des scouts FM vous expliquent tout
En l’espace de quinze ans, le joyau de Sports Interactive est devenu une institution, et outre l’époustouflant moteur de jeu, la profondeur de la base n’est pas étrangère à ce succès. À l’échelle mondiale, derrière cet empire de plus de 350 000 joueurs, se cachent plusieurs centaines de cerveaux, relayés par des scouts bénévoles qui fournissent un véritable travail de fourmi. Passe D est allé à la rencontre de Benjamin Miquet, David Kergoustin et Ludovic Soulard, les trois « head researchers » des différents championnats français.
Pouvez-vous nous expliquer votre rôle ?
Benjamin Miquet. Nous sommes tous les trois « head researcher ». Pour ma part, je m’occupe de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ; David, du National 1 ; et Ludovic, des National 2 et 3. Concrètement, nous supervisons ces championnats en nous appuyant sur des « assistant researchers ». La différence entre nos trois postes est le niveau de détail que nous devons fournir. En Ligue 1, par exemple, l’idée est de disposer d’au minimum un assistant par club, lequel suit une équipe attitrée tout au long de la saison, en observant de près l’ensemble de l’effectif. Leur tâche est de transmettre le plus de données possible, que nous validons par la suite.
Ludovic Soulard. En fait, nous occupons le même poste, mais notre approche diffère. Le degré d’exigence et le souci du détail varient. En ce qui me concerne, je n’ai presque aucun « AR » qui m’épaule. Du coup, je dois collecter des données moins « minutieuses » pour les National 2 et 3. Mon principal objectif est de mettre à jour les transferts et d’enregistrer les équipes dans les bonnes divisions.
Comment en êtes-vous arrivés à former ce trio ?
B. M. Cela fait un an et demi que nous travaillons ensemble. Nous avons tous commencé par la fonction d’assistant, avant de gravir les échelons. Personnellement, j’ai débuté en tant qu’AR sur le Rubin Kazan, lorsque je vivais en Russie. Je me suis ensuite davantage impliqué, en faisant remonter quelques bugs sur les historiques de club. Cet investissement m’a permis d’être reconnu au sein de Sports Interactive et d’obtenir le poste de head researcher il y a quatre ans. Par contre, c’est une activité que nous occupons en parallèle de nos emplois respectifs, nous n’en vivons pas.
Si vous deviez dresser le portrait-robot de l’assistant idéal ?
B. M. Nous n’avons pas de critères précis mais, évidemment, quelques exigences. Premièrement, nous essayons de sélectionner des acteurs de proximité, très disponibles tout au long de l’année, et qui sont abonnés au club qu’ils souhaitent superviser. Ensuite, il y a la connaissance de l’équipe, que nous jaugeons par le biais d’un rapide questionnaire. Le but est d’avoir à nos côtés des assistants aussi minutieux et perfectionnistes que possible. Enfin, au regard du travail consenti, l’idéal est qu’ils soient passionnés, car ce sont des bénévoles. La qualité de la base de données dépend en grande partie du nombre d’AR et de leur degré d’implication. Ils doivent se sentir investis et mener leur propre investigation en dehors d’Internet. Par exemple, pour connaître le pied fort d’un joueur, il faut absolument se déplacer pour s’en rendre compte.
Leur apport est donc primordial ?
David Kergoustin. Oui, ils sont les artisans de la profondeur de notre base. C’est d’ailleurs pour ça que nous ne cessons de rechercher de nouveaux assistants. Les candidatures sont toujours les bienvenues. Nous avions environ 50 AR sur l’ensemble de nos ligues France l’an passé, alors qu’il fut un temps où ils n’étaient que 7. Ce réseau de bénévoles nous permet de garantir une base de plus de 10 000 joueurs rien qu’en France !
C’est donc à eux que vous déléguez la charge de détecter les espoirs du foot français, c’est une grande responsabilité.
B. M. Oui, même s’il faut reconnaître que le sérieux peut varier d’un assistant à l’autre. De toute façon, si le scout est vraiment fan de football, l’investissement découlera naturellement. Par exemple, lors de la finale de la Coupe Gambardella, les deux référents de Troyes et de Tours étaient sur place sans même que nous le sachions ! Et force est de constater que ce sont des personnes passionnées, compétentes et connaisseuses, qui disposent d’une réelle expertise pour détecter le potentiel de joueurs dont nous n’avons jamais entendu parler… Mais soyons clairs, même si leur travail n’est pas à prendre à la légère, je ne les force jamais à bosser autant que je le fais. J’attends simplement un minimum de sérieux.
Comment supervisez-vous le côté notation ?
B. M. Nous faisons en sorte de visionner le plus de rencontres possible et éventuellement de nous déplacer, afin de peaufiner les profils des joueurs et de réduire le degré de subjectivité. À titre personnel, je me concentre vraiment sur un match chaque week-end. Il m’arrive parfois d’en repasser un trois ou quatre fois pour superviser un seul joueur. Mais si je ne dispose pas d’assistant pour une équipe, j’en regarde le maximum.
Justement, comment s’assurer une impartialité ?
D. K. Déjà, nous disposons de plusieurs outils statistiques. Ensuite, nous travaillons en équipe. Pour ce qui est des notes de L1 et L2, nous les partageons avec l’ensemble de nos assistants, afin de trouver un consensus pour éviter la sur- ou la sous-notation. L’objectif est de recouper les points de vue pour placer le curseur au bon endroit. D’ailleurs, nous attaquons actuellement la phase de réévaluation. Les scouts détiennent également leur fichier propre à leur club, et tous ensemble nous soumettons des propositions. Si l’équilibre n’est pas tout à fait correct, nous l’ajusterons dans un second temps.
Avez-vous un cahier des charges précis pour noter les joueurs ?
B. M. Chaque profil comprend plus de trente attributs. Mais tous disposent d’une définition plus ou moins stricte. Par exemple, l’attribut « finition » correspond stricto sensu à « la capacité à cadrer un tir ». Cette notion donnera un ordre d’idée, mais il ne faut pas considérer un attribut de façon isolée. Pour ce qui est de la finition, on prend également en compte la technique et le sang-froid lorsqu’il s’agit d’harmoniser la fiche du joueur.
L’extra-sportif est-il une dimension que vous incluez dans votre système de notation ?
B. M. Oui, nous en tenons compte. L’an passé, l’un de mes assistants croisait souvent des joueurs en boîte de nuit. Cela peut avoir un impact sur l’hygiène de vie, et donc sur les notes liées au professionnalisme. De la même manière, je peux prendre en exemple le cas du Caennais Brice Samba. Lorsqu’il jouait à l’OM, il était loin d’avoir une conduite irréprochable. Il effectuait des prestations honorables sur le terrain, en revanche son mode de vie a influencé notre façon de l’évaluer. Le but est de représenter le joueur de façon générale, donc nous incluons aussi son comportement hors du terrain.
Entretenez-vous des relations avec le staff des clubs pour harmoniser votre évaluation ?
B. M. Aucune. Nous avons l’interdiction formelle d’être en contact avec les joueurs ou les staffs, pour éviter tout conflit d’intérêts. Nous avons un contrat très strict qui contient une cinquantaine de clauses.
Certains clubs vous ont-ils déjà approchés pour vous débaucher ?
D. K. Non, jamais. Nous faisons ça surtout par passion, et même si cette dernière débouche sur la constitution d’une belle base de données, nous n’avons pas la prétention d’être des recruteurs, ni même d’avoir leur étoffe. C’est un job à part entière.
B. M. Un de mes assistants a fini par bosser au sein d’un club, mais il a d’abord passé ses diplômes UEFA. Et, surtout, c’était un travailleur perfectionniste. C’est un cas isolé. En principe, ce type de passerelle ne fonctionne jamais. Personnellement, je n’ai jamais été approché. Il ne faut surtout pas penser que cet investissement peut être un pont d’or pour finir recruteur.
Et des joueurs vous ont-ils contactés pour se plaindre de vos évaluations ?
L. S. C’est assez rare, mais j’avais reçu un tweet d’un joueur de National 2 qui se plaignait de sa vitesse, il y a quelques mois. Faute de pouvoir suivre les rencontres de près, je me base généralement sur les forums et sites Internet spécialisés pour effectuer mes notations. Je me suis d’abord méfié de son interpellation, mais c’est finalement après avoir sondé les forums que j’ai tenu compte de sa remarque pour réajuster sa note.
Certaines pépites FM n’ont jamais atteint le très haut niveau. Outre la surnotation du potentiel de certains joueurs comme Anatoli Todorov ou Georgi Kakalov, comment expliquer le cas de Lebohang Mokoena, l’ex-crack du Orlando Pirates qui n’a jamais percé ?
B. M. Ah, Mokoena, c’est une légende FM ! Plus sérieusement, ces erreurs d’appréciation sont humaines, nous évaluons le potentiel général dans un contexte donné. Ceci étant, il est vrai que Mokoena est une anomalie FM. En général, nous réajustons les notes d’une année à l’autre, mais des exemples tels que celui-ci sont des erreurs de base de données.
Justement, quelles sont les futures pépites FM ?
B. M. Nous ne pouvons hélas révéler aucune information portant sur la prochaine version. En revanche, nous avons des poulains. Personnellement, je suis tombé amoureux du jeune Claudio Gomes, qui a été chipé par Manchester City au PSG.
L. S. Il y a la jurisprudence Ribéry pour le National 2, donc j’essaie d’être attentif, voire méfiant, car les National 2 et 3 peuvent être trompeurs. En fait, dans le facteur de progression, il faut nécessairement inclure la structure du club. Concernant les joueurs de National 2, la concrétisation de leur potentiel dépendra du staff et des infrastructures qui les suivront. J’ai bien quelques noms en tête, mais je les garde pour moi…
Certains imprévus sont-ils difficiles à gérer ?
L. S. Il faut comprendre qu’au début de l’automne, notre base de données est verrouillée, car la version finale s’apprête à sortir sur CD-ROM. Tout ce qui se déroule après n’est plus de notre ressort, ce qui peut être frustrant. Nous ne sommes donc pas à l’abri de blessures majeures. Et puis, tous les ans, nous scrutons de près le verdict rendu par la DNCG, qui peut troubler la finalisation de notre base. À ce propos, la fin de l’exercice 2017 fut particulièrement compliquée, puisque Bastia était a priori relégué en National 1. Or, suite à un deuxième examen de la DNCG, le club fut relégué en National 3 ; nous avons dû tout modifier dans l’urgence. Ce fut périlleux car j’ai dû gérer les équilibres et faire en sorte que l’équipe soit correctement ajustée pour ne pas être promue saison après saison dans notre jeu. Sinon le club aurait tout écrasé sur son passage !
Si vous aussi souhaitez faire partie de l’aventure Football Manager, n’hésitez pas à envoyer votre candidature à recherchefm.fr@gmail.com. Quelques lignes sur votre passion footballistique, un brin de chance, et vous serez peut-être la nouvelle recrue scout de l’équipe FM !
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