place des supporters dans club

La place des supporters dans le foot

« La moitié des clubs anglais n’a plus besoin des spectateurs pour engendrer des profits. » Vous qui allez au stade régulièrement, il va falloir vous y faire : vous n’êtes plus essentiels au fonctionnement des clubs de foot. Tout du moins en Angleterre, comme l’affirme ce titre d’un article de So Foot, où le montant faramineux des droits TV permet aux clubs de s’affranchir de la sacro-sainte billetterie. Le match à guichets fermés ? Aucune importance. Si ce n’est pour avoir des tribunes pleines qui rendent bien dans la petite lucarne. Le fan serait-il donc devenu inutile ?



Alors, le supporter, pigeon ou rouage essentiel ?


 

Petit à petit, le supporter spectateur, qu’il se casse la voix à chanter, beugler, injurier en tribunes, ou applaudisse poliment, séant figé, mèche gominée, cède sa place au télésupporter. Ce dernier, un consommateur multi-device, n’achète pas de billet, mais devient LA cible principale des diffuseurs et partenaires qui se font une beauté pour passer à l’écran. Comment entendre différemment toutes les initiatives des clubs et des institutions pour vendre le football européen à l’autre bout du monde ? Le supporter chinois du PSG mettra-t-il un jour les pieds au Parc des Princes ? Oui, peut-être un jour, grâce à un tour-opérateur. Fréquemment ? Non.

Faut-il pour autant considérer qu’un supporter passionné en est réduit à jouer son gentil rôle de douzième homme sans moufter jusqu’à ce que le prix d’un abonnement ou d’une place au stade soit suffisamment élevé pour le décourager ? Pas encore. Petit tour d’horizon d’initiatives offrant un peu de poids au supporter, qu’elles soient supercheries marketing ou réalités structurelles.

 

La cryptomonnaie parisienne +

ChiliZ, Socios.com, cryptomonnaie : on a tout dans ces trois mots. Une start-up maltaise spécialisée dans les blockchains, qui permettent le stockage et la transmission d’infos cryptées, une monnaie virtuelle qu’on achète via une appli sur son smartphone… On ne va pas se mentir : on navigue aisément entre l’imbitable et l’amphigourique quand on s’attaque aux profondeurs des nouvelles technologies.

Pourtant, sous cette complexité apparente, se dévoile une initiative intéressante du PSG, dont le lancement est annoncé pour 2019 : le club de la capitale va créer sa monnaie virtuelle, offrant des avantages variés à ses fans acquéreurs. Ces derniers pourront télécharger une application créée par ChiliZ et répondant au nom évocateur de… Socios. Sur leur plateforme Socios, les supporters achèteront des tokens, la monnaie du club, qui leur octroiera un droit de vote pour des consultations du club. Le choix du maillot, les matchs amicaux… Plus une personne sera riche de tokens, plus sa voix comptera dans ces consultations, sans compter qu’elle pourra bénéficier d’exclusivités (rencontre avec des joueurs, places…).

 

Si le prix de départ du token devrait tourner autour de 1 euro, le nombre de jetons mis en vente sera limité. Et ces tokens PSG pourront être échangés contre d’autres tokens créés par ChiliZ. De quoi imaginer qu’ils puissent prendre de la valeur selon la demande…

L’objectif affiché du PSG ? « S’inspirer de l’organisation de clubs comme le Real Madrid ou le FC Barcelone, où les supporters sont régulièrement sollicités dans la vie de leur équipe, explique Alexandre Dreyfus, CEO de Socios.com, à Capital. L’idée, c’est d’aider le club à engager ses fans globalement, pas uniquement à Paris, et notamment en Asie. » Et il faut reconnaître que ces tokens permettront aux fans de s’investir un peu plus dans la vie du club, même si les consultations ne devraient pas porter sur des sujets stratégiques.

La réalité ? En plus de la rémunératrice vente des tokens, un deal de 12,5 millions d’euros sur cinq ans, selon L’Équipe, permettant à Socios.com de bénéficier, avec ce partenariat, « d’un large éventail de droits marketing » : « visibilité dans le stade », « exposition TV et digitale », « opportunités sur mesure relatives à l’expérience des fans »… Et plus si affinités ? L’avenir le dira, selon le succès de l’opération.

 

Les Kalon guingampais +

« Qui trop écoute la météo, passe sa vie au bistrot ! » N’en déplaise aux mauvaises langues, le Breton, lui, n’est pas doué qu’en lever de coude et proverbes populaires. À Guingamp, on a ainsi essayé de réinventer une forme d’actionnariat populaire permettant aux supporters de s’investir dans la vie de leur club. C’est cette fameuse initiative des Kalon, dont vous avez sûrement entendu parler.

En 2017, durant deux mois, les fans de l’En Avant ont pu acheter un Kalon au prix de 40 euros, celui-ci prenant la forme : 1/d’une plaque nominative et numérotée installée sur le mur des Kalon, au stade du Roudourou ; 2/d’un statut de Membre Fondateur Kalon EAG à vie, l’association du club des Kalon. Au total, ce sont 15 206 Kalon qui ont été vendus. L’argent récolté a permis la création de cette association, puis l’achat, par cette dernière, de 608 130 euros d’actions de la SA En Avant de Guingamp, qui avait préalablement voté une augmentation de capital. C’est ainsi que cette association est devenue le 145e actionnaire du club et premier actionnaire privé, avec 6,52 % des parts.

 

Sauf que l’impact sur la politique du club des 15 206 membres du Club des Kalon est forcément réduit. D’une part, parce qu’il faut être membre actif, à jour de cotisation, pour pouvoir élire le bureau de l’association. D’autre part, parce que seul le président de l’association siégera à l’AG des actionnaires, sa voix n’en valant qu’une –et non 15 206. Enfin, la situation guingampaise n’a en fait rien de très original… Bernard Caïazzo, en 2017, réagissait ainsi sur Eurosport : « Ça existe déjà dans de nombreux clubs. Dans tous les clubs, il y a déjà une association qui est actionnaire. À Saint-Étienne, une association a ainsi 10 % du capital du club. » On s’en tiendra donc à l’idée d’une belle opération marketing renforçant l’identité du club !

 

Les socios espagnols et allemands +++

Il est là, LE supporter, celui qui a le plus d’influence sur la vie de son club : le socio. Ainsi, le FC Barcelone, qui voulait dernièrement faire évoluer son logo, a récemment vu sa proposition se faire retoquer par le vote négatif d’une partie de ses 150 000 socios. « Je dois accepter que c’est un design qu’ils n’aiment pas », a réagi le président du club, Josep Maria Bartomeu, sur Catalunya Radio. Pas le choix, car le FC Barcelone est une société civile sans but lucratif, dont il n’est pas possible d’acheter des parts, comme pour une entreprise traditionnelle. Seule l’adhésion l’est, au prix de 180 euros (et d’une attente de trois ans lorsqu’on n’est pas recommandé par un socio) ; les adhérents élisent leur président, un socio comme les autres –ou presque– tous les six ans, par suffrage universel direct.

 

Le Real Madrid, l’Athletic Bilbao, Osasuna, Eibar ou le Deportivo La Corogne fonctionnent tous selon un système similaire. Tout comme les clubs allemands : ces derniers sont régis par la règle du 50+1, qui stipule qu’un club doit être détenu à 51 % par ses membres, la part des investisseurs privés ne pouvant dépasser 49 %. À une exception près : si l’un des actionnaires possède des parts dans le club depuis plus de vingt ans, il peut s’offrir la majorité, comme ce fut le cas de Bayer à Leverkusen. En résulte une influence indéniable des supporters qui parviennent à résister aux décisions qui leur seraient défavorables (prix de la billetterie…).

 

L’action des supporters… pour combien de temps ? ++

Grogner, râler, gueuler… Ce pouvoir reste le premier de tout bon supporter. En tribunes, en faisant passer des messages ou en faisant la grève des travées ou des encouragements, à l’entraînement en rencontrant staff et joueurs. Si l’on doute que la grève du « ahou », menée parfois par certains groupes de fans lyonnais, ait un quelconque impact, certains clubs dont l’histoire reste chevillée à leurs supporters sont particulièrement prudents et sensibles à leurs récriminations.

C’est le cas de l’AS Saint-Étienne. En janvier 2017, les Verts se sont résolus à casser leur contrat avec Anthony Mounier, après que les ultras stéphanois se sont élevés contre son arrivée. L’ex-Lyonnais avait pourtant été présenté à la presse… Mais les banderoles et les intimidations ont finalement pesé plus lourd qu’un contrat dûment signé.

 

Si l’on peut s’affliger que le supporter ait un tel pouvoir dans ce cas-là, il n’en reste pas moins comme le fervent défenseur des traditions de son institution. Ainsi, en juillet 2017, lorsque le Nîmes Olympique a présenté son nouveau logo, les clubs de supporters ont si bien protesté que la direction a décidé de rétropédaler et de faire appel à des contributions individuelles plutôt que d’imposer son choix.

Aujourd’hui, les fans conservent un peu de ce pouvoir, malgré l’évolution des modèles économiques, parce qu’ils profitent d’un média efficace : Internet. Ils sont les premiers ambassadeurs de leur club sur les réseaux sociaux, ceux par qui un buzz, comme un bad buzz, peut naître. Et sont à même d’opposer à une communication institutionnelle leur propre vision d’une réalité. On mesure leur importance à l’assiduité avec laquelle Jean-Michel Aulas leur répond sur Twitter pour défendre ses intérêts…

 

Les clubs gérés… par les supporters ! +++

C’est une véritable tendance depuis plusieurs années : fleurissent ici ou là des clubs gérés par les supporters eux-mêmes. L’un des précurseurs parmi les clubs professionnels ? Ebbsfleet United, en Angleterre, qui a été racheté en 2008 par My Football Club, une société souhaitant y développer le football participatif. Jusqu’à 31 000 personnes ont participé à l’aventure.

Sur le site du club, elles étaient incitées à voter et à s’exprimer au sujet d’orientations stratégiques : faut-il vendre un joueur ? Qui doit composer l’équipe ? En France, plusieurs projets similaires ont été concrétisés depuis les années 2000 au niveau amateur, comme à Issy-les-Moulineaux. Dernièrement, c’est United Managers qui a fait parler : ce concept vise à confier aux internautes… le coaching de l’équipe. Les nouvelles technologies aidant, tout est imaginable !

 

« Les dirigeants veulent un public fervent, discipliné et docile, qui achète [cher] les places de stade et les innombrables produits dérivés, encourage de manière inconditionnelle l’équipe, ne provoque pas de débordements, ne critique pas les responsables du club et ne revendique pas de pouvoir. Leur devise est donc plutôt : “Paie ! Chante ! Ne conteste pas !” »

Ces mots de Nicolas Hourcade, écrits en 2002 dans La Place des supporters dans le monde du football, n’ont jamais été aussi appropriés. Et ambiguë la place du supporter dans des clubs qui ont peut-être moins besoin de fans acharnés remplissant le stade que de suiveurs intéressés, davantage prêts à dépenser à distance qu’à s’investir dans la vie du club. Comme le confirme Jean-Baptise Guégan, auteur et journaliste cité par Slate : « Voilà des décennies que le football subit une lente aseptisation de ses tribunes. […] À chaque match de Barcelone, par exemple, le stade est rempli à environ 10% par les tour-opérateurs, qui incluent un match au Camp Nou dans un forfait visite de la ville avec la Sagrada Familia, la Ramba ou le Parc Güell. » Autant de fans de la marque Barcelone sans réelle influence… Si ce n’est celle de leur portefeuille.

 

 

 

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