La saga FIFA : entre arcade, gros spectacle et pay-to-win

Avant de devenir le jeu de foot le plus prisé de la planète – et également celui qui fait casser le plus de manettes –, le FIFA d’EA Sports a cravaché longtemps pour rattraper le retard important qu’il avait dans les années 2000 sur son principal concurrent, Pro Evolution Soccer.



Retour sur un itinéraire en zigzag, un peu comme la carrière d’Hatem Ben Arfa.


FIFA a ses partisans hardcore, PES aussi et ce n’est pas aujourd’hui que Passe D va tenter de donner raison à un clan ou à l’autre sur la fameuse question que tout le monde se pose : lequel est le meilleur jeu vidéo de foot ? Il nous semble que chacun a ses propres spécificités, qui rendent les deux complémentaires bien que diamétralement opposés, tel Pep Guardiola et José Mourinho ou Cristiano Ronaldo et Lionel Messi.

Pour résumer, on pourrait dire que PES se veut une pure simulation de football quand FIFA mise indéniablement sur le fun. Devenu phénomène social, le jeu des Canadiens d’EA Sports s’est cependant imposé face à son concurrent japonais, ces dernières années, car il a su le mieux prendre le virage du online, grâce à l’exploitation – certains diront mercantile et abusive – d’un excellent mode de jeu : Fifa Ultimate Team, ou FUT pour les intimes. Mais avant d’arriver à cette apogée médiatique et commerciale, FIFA a vécu bien des déconvenues, dans une histoire qui a commencé il y a déjà longtemps, en… 1993 – non, Kylian Mbappé, l’une des stars de l’opus actuel, n’était pas encore né.

 

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La première mouture du jeu, dénommé FIFA International Soccer, ne rassemble alors que des équipes nationales, sans les vrais noms des joueurs, sans commentateurs et avec un seul stade. Durant les quelques années suivantes, les différentes itérations de FIFA sont visuellement dégueulasses, console d’antan oblige, mais ont, au fond, un charme désuet quand on s’y replonge aujourd’hui. On prend notamment un certain plaisir à ne jouer qu’avec trois touches pour proposer un football sans fioritures. D’ailleurs, contrairement à aujourd’hui où les derniers FIFA proposent constamment des scores de tennis, il était ultra-compliqué de marquer à l’époque, et quand on le faisait, on était récompensé par un très long « goaaaaal » hurlé par une sorte de… speaker ? – on rappelle qu’il n’y a pas eu de commentateurs jusque dans FIFA 98.

 

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Au fil des années, FIFA évolue et s’améliore, pour tendre vers toujours plus de réalisme, tant dans les propositions visuelles que dans l’expérience de jeu. FIFA 1996, par exemple, introduit la 3D, et l’opus suivant la capture de mouvement, avancée majeure pour un plus grand réalisme du côté des attitudes des joueurs. L’édition 97, il faut le rappeler, propose également des parties de foot en salle à 5 contre 5, idée absolument géniale dont les gamers se souviennent avec émotion. Puis, dans FIFA 2000, une nouveauté se démarque : les commentaires sont assurés par notre Laurent Paganelli national (!), au côté du regretté Thierry Gilardi. Miser sur Paga’, plus clown qu’expert malgré son passé de joueur pro, indique la voix de garage dans laquelle le commentaire à la FIFA s’inscrit dès ses débuts, et qui culmine ces dernières années avec la présence de Pierre Ménès au micro, lui qui est aussi agaçant dans le jeu qu’en vrai, sur le plateau du Canal Football Club.

Seule ou presque dans son domaine, la franchise FIFA prospère donc tranquillement, d’autant que les concurrents sont à la rue – vous vous souvenez de Libero Grande ou Actua Soccer, vous ? Enfin, ça, c’est avant l’émergence d’ISS, et surtout de PES, la seconde franchise de foot de l’éditeur japonais Konami. Concurrencé par un nouveau jeu dont le gameplay ultra-fluide rend le sien presque immédiatement obsolète, FIFA, qui ne tient pas la comparaison sur ce terrain-là, se concentre plutôt sur les à-côtés : la bande-son est aux petits oignons, avec des grosses signatures à chaque itération ou presque – Moby, Robin Williams, Blur, Air… – ; le contenu est pléthorique, avec un grand nombre de mode de jeu ; et la franchise peut se targuer d’avoir très tôt un énorme réservoir de licences officielles, que ce soit pour les clubs, les équipes nationales voire les compétitions. Ce n’est pas comme sur PES, où on pouvait tirer des coups-francs surpuissants avec Roberto Larcos, faire des roulettes avec Ziderm et jouer des rencontres Bouches-du-Rhone vs Ile-de-France – bon, ça sonne comme une critique, mais on se marrait pas mal en découvrant quelques faux noms de folies, comme Van Misterloum (Ruud Van Nistelrooy) ou Putam (Jean-Pierre Papin).

 

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EA Sports, qui très tôt a été malin, édite des jeux additionnels grâce à son catalogue officiel : des FIFA consacrés aux Coupes du monde et aux Euros, entre 1998 et 2014, voient le jour. Mais pas de révolution à l’intérieur : l’éditeur canadien se contente d’habiller son édition classique du packaging visuel de la compétition de l’été, en enlevant les clubs pour tout miser sur les sélections nationales, dont les effectifs ne sont parfois même pas ceux des compétitions… Le tout est vendu, souvent, au prix fort. Vous avez dit arnaque ?

Dans les années 2000, où ISS puis PES supplantent sans mal FIFA, en gros jusqu’à l’édition 08, les jeux du cupide EA Sports se caractérisent par un aspect arcade prépondérant et une jouabilité limitée. Les joueurs, raides comme des piquets, sont aussi agréables à manier que des 33 tonnes et ne permettent pas de produire un jeu collectif plaisant, ce qui pénalise clairement l’expérience proposée quand, du côté de PES, la maniabilité des footballeurs est savoureuse et le gameplay, fluide. Mais EA Sports relève la tête et se retrousse les manches : si FIFA 07 fait passer un gap visuel au jeu, c’est bien avec FIFA 08 que la franchise revient véritablement dans le game.

Ce dernier permet en effet de prendre l’ascendant sur PES en termes de vente, pour ne plus jamais le perdre. FIFA 08, avec Ronaldinho et Franck Ribéry sur la jaquette, a notamment introduit une nouveauté fascinante pour l’époque, qui a probablement impulsée le début de l’hégémonie commerciale de la franchise : dans le nouveau mode « Deviens Pro », le gamer a la possibilité de contrôler un seul joueur sur le terrain, avec une caméra mouvante qui se trouve dans le dos de ce dernier. Imaginez : être dans la peau de Peter Crouch ou d’Emmanuel Adebayor et tirer des chachous en tribunes, c’est un rêve qui était enfin devenu réalité. L’immersion devient alors totale, d’autant que les stades et leurs ambiances sonores sont parfaitement retranscrits. FIFA 11 ajoute une pierre à l’édifice en permettant d’incarner les gardiens – bon, fallait quand même être courageux pour contrôler durant des dizaines de rencontre Apoula Edel, Ali Ahamada et consorts, eux qui ne touchent pratiquement jamais la balle sauf pour faire des cagades. De manière plus générale, le titre, devenu particulièrement joli à regarder, s’améliore nettement du point de vue du gameplay, ce qui lui fait gagner définitivement la mise sur PES. D’autant que, pour enfoncer le clou, les développeurs d’EA Sports ont l’idée parfaite pour le online naissant : FIFA Ultimate Team.

 

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Véritablement introduit dans FIFA 12 – mais disponible depuis le 09 en add-on… payant ! -, ce nouveau mode permet d’affronter des joueurs du monde entier en ayant au préalable construit « son équipe de rêve », selon les mots d’EA Sports. Au début de chaque FIFA, le « rêve » est d’abord un cauchemar quand il faut se farcir une team L1 avec Nolan Roux aux avant-postes. Mais à force de jouer, le gamer récupère des crédits, qui lui permettent d’acheter les cartes des meilleurs joueurs du jeu. Et depuis FIFA 14 sur X-Box et FIFA 18 sur PS4, les meilleurs sont, comble du bonheur, des « Icônes » : Pelé, Diego Maradona, Thierry Henry, Ronaldinho, Ronaldo, Roberto Carlos ou Johan Cruyff – mais pas Zinédine Zidane, David Beckham, Franz Beckenbauer ou Michel Platini. Ce mode, qui évoque la construction de son crew dans Pokémon – oui, c’est la comparaison la plus pertinente que l’on ait trouvé… -, se révèle complètement addictif. D’ailleurs, bon nombre de gamers ne jouent plus qu’à FUT, sans jamais ou presque toucher aux autres modes de jeu. L’auteur de ces lignes, fidèle de FIFA depuis plusieurs années, n’a par exemple jamais joué au mode Carrière, et n’effectue plus de simples matchs amicaux hors-ligne. Cependant, pour varier les plaisirs, les développeurs ont ajouté une trame scénarisée – appelée « L’Aventure » – qui vous fait gérer la carrière d’un jeune joueur anglais, Alex Hunter. Ce mode, pas transcendant mais intéressant, ne détourne cependant pas les joueurs hardcores de FUT, sorte de jeu dans le jeu qui attire vers lui toute l’attention… et toutes les critiques.

Depuis FIFA 17 au moins, si ce n’est avant, il est manifeste que FIFA Ultimate Team cristallise un nombre conséquent de tensions dans la communauté, essentiellement sur deux points. Ce mode adoré des joueurs est une véritable poule aux œufs d’or pour EA Sport : si l’éditeur récupère à chaque fois de l’argent quand les joueurs achètent l’édition annuelle à sa sortie, fin septembre, il en capte également une quantité non-négligeable toute l’année. En effet, pour progresser de manière plus rapide, voire tout simplement pour se bâtir une équipe avec les plus grosses cartes du mode, dont certaines sont inatteignables si on ne met pas la main à la poche, il est possible de dépenser de l’argent réel pour s’acheter des points, qui permettent dans le jeu d’acheter des « packs » contenant des cartes qui peuvent être plus ou moins intéressantes pour le joueur. Comme quand, gosses, vous dépensiez toutes vos économies pour vous achetez des paquets de cartes Panini, pour tenter par tous les moyens de choper Frédéric Née et de finir l’équipe de Bastia. Ah, la belle époque…

Dans cette optique, EA Sports créé régulièrement des évènements qui offrent aux joueurs la possibilité d’acheter des sortes de « super-packs », disponibles en un temps limité dans la boutique de FUT. Toutes les fêtes, ou évènements footballistiques – remise du Ballon d’Or, par exemple –, autorisent EA Sports à créer un évènement in game, qui encourage les plus dépensiers à investir de la monnaie réelle pour avoir des super-packs : c’est le cas lors de la fête d’Halloween, du Carnaval, de Noël, du jour de l’An, du Nouvel An chinois etc.

De surcroît, l’opus de cette année, FIFA 19, a amené une surenchère au niveau des cartes des joueurs. En effet, chaque semaine ou presque, une ou des nouvelles cartes spéciales apparaissent dans le jeu, toujours dans l’optique de faire dépenser de l’argent aux gamers pour les avoir. L’excès est devenue tellement absurde que beaucoup de gros joueur ont sept ou huit variations de leur carte initiale. Ou, pour prendre un exemple précis de FIFA 19, le joueur du FC Nantes, Anthony Limbombé, noté initialement 73 (sur 100) dans le jeu, a une carte spéciale « Carnaval » notée… 86 – soit plus que la carte de base de Karim Benzema, qui est de 84 !
De fait, s’ils le désirent vraiment, les joueurs les plus riches dans la vie réelle auront fatalement une meilleure équipe que ceux qui le sont moins… Cette inégalité transforme alors le jeu en un pay-to-win basique, qui se double d’une seconde inégalité, celle-ci relative spécifiquement au jeu : nous parlons bien entendu du fameux « script ».

Ce dernier, dont l’existence n’a jamais été confirmé par EA Sports – on comprend pourquoi -, altère considérablement l’expérience du joueur, qui peut le ressentir de manière très vivace sur certaines parties. Si on ne peut pas détailler avec exhaustivité son champ d’action, qui est très étendu, on décrira les effets du script de la manière suivante : si vous aimez avoir la possession de la balle durant les rencontres, le jeu permettra à votre adversaire de marquer plus facilement lors de ses (quelques) occasions. Il est en effet très fréquent de se prendre 3 buts en ne concédant que 3 ou 4 tirs durant toute la partie, quand à l’inverse vous mitraillez le goal adverse d’une dizaine de frappes, en en concluant qu’une seule. En fait, le jeu pratique un rééquilibrage en favorisant le plus faible des deux joueurs, ou du moins celui qui produit le jeu le moins élaboré, voire le plus sommaire. Pour gagner, il vaut donc mieux abandonner la balle à son adversaire, avoir des joueurs très costauds physiquement en défense et des joueurs offensifs très rapides, plutôt que de privilégier des rois de la passe et des renards des surfaces à la Karim Benzema. En gros, il faut jouer comme l’équipe de France à la Coupe du Monde 2018, plutôt que comme l’Ajax Amsterdam de cette saison.
Pour vous donner un autre exemple : il est plus facile de s’en sortir dans FUT avec un milieu de terrain composé de Tiémoué Bakayoko, Geoffrey Kondogbia et Fabinho, tous très costauds, plutôt qu’en associant les techniques mais très lents Sergio Busquets, Luka Modric et Andres Iniesta, quand bien même les notes générales des cartes des derniers soient supérieures à celles des premiers.

Pas stupide, EA Sports ne peut pas se permettre que les joueurs qui se font dominer à chaque rencontre perdent tous leurs matchs : le script permet donc de niveler le niveau global par le bas, en permettant aux plus rustres de vaincre les Guardiola en herbe. Si tous les matchs ne se résument pas à ça, disons que c’est le cas un tiers du temps. Il faut alors se concentrer très sérieusement pour ne pas envoyer valdinguer sa manette contre un mur quand on perd 1-0 à la 90e sur la seule frappe du match de son adversaire, après avoir touché trois fois les poteaux – quand le script est contre vous, vous frappez constamment la barre et n’avez aucun contre favorable.

 

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Le paradoxe aujourd’hui est que FIFA est devenu le jeu de foot le plus acheté de la planète, en étant également le plus critiqué par ceux qui y jouent. Le script cristallise évidemment les critiques, tout comme le choix des développeurs de rendre prépondérantes les qualités physiques des joueurs, ainsi que leur intention d’axer le jeu sur un versant totalement spectaculaire, au profit d’un certain réalisme. Les gestes techniques, quand ils sont maîtrisés, permettent par exemple de produire des actions complètements farfelues, où toute une défense peut être éliminée par de multiples skills irréalisables sur un vrai terrain de foot, avec de vrais adversaires – celui qui tenterait de faire ça se briserait une cheville… ou se la ferait briser, au choix.

Mais, étant dorénavant un total phénomène de société, puisque même les joueurs pros se prêtent au jeu de FUT en se faisant prendre en photo avec leur propre carte améliorée, la franchise FIFA risque difficilement de voir son audience faiblir. De fait, on voit mal les développeurs changer leur fusil d’épaule et modifier leur jeu en profondeur, puisque celui-ci, très critiqué car plein de défauts, est pourtant toujours très acheté : il est le jeu le plus vendu de 2018, largement devant le deuxième, Red Dead Redemption 2…

Ce n’est pas forcément en devenant meilleur, au fil des années, que FIFA a conservé sa place de numéro un devant PES : c’est surtout en se rendant incontournable dans l’univers du football, que ce soit auprès des vrais joueurs pros comme des gamers. Si vous en avez un peu ras-le-bol de tirer trois fois sur le poteau pour vous prendre un but à la dernière seconde par l’ultra-rapide Ahmed Musa, sachez que ça risque difficilement de s’arrêter…

 

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